Les choix de restauration sont en général déterminés par le pourcentage et la gravité des altérations. Viennent ensuite les nuances : le travail peut être illusionniste ou, au contraire, de type archéologique. Dans le premier cas, un œil non-exercé ne verra pas de trace de la restauration lorsque l’œuvre sortira de l’atelier. Plus vulgairement, il faudra mettre le nez dessus pour apercevoir les accidents. La seconde méthode mettra en avant ce qu’il reste d’original à l’objet. Ainsi et par exemple, les retouches ne chercheront pas à reproduire l’image. Les zones lacunaires seront atténuées par des couleurs neutres, adaptées aux teintes environnantes ou au fond.
Dans le tableau étudié ci-dessous, de petites lacunes éparses sur la surface et un épais film de crasse gênaient la lisibilité et impactaient la cohésion. Or, une lacune rompt l’homogénéité de la tension du support, pouvant entrainer des déformations et des altérations de couche picturale (craquelures, soulèvements, écaillage). D’après les tests et notre sensibilité, il n’était pas nécessaire d’ôter la patine ou de masquer l’intégralité de ces petits accidents. Avec l’accord du client, l’objectif de la restauration sera de stabiliser le tableau tout en le laissant « dans son jus ». Il s’agit donc de trouver un juste équilibre entre un travail de type illusionniste et archéologique.
Identification - constat d'état
Sujet : Nature morte aux grappes de raisins dans une coupe et prunes dans un panier en osier
Technique : Huile sur toile sur châssis fixe
Epoque : fin du XIXème siècle – début du XXe siècle
Dimensions : 54,3 x 65 cm
Constat d’état : support
Le support est une toile de lin oxydée et empoussiérée. Celle-ci a perdu de sa souplesse et sur une partie du montant supérieur l’oxydation des semences a troué les bords qui se sont détachés. Toutefois la tension est encore bonne. Une trentaine d’accros et petites lacunes sont visibles, principalement sur le côté senestre du tableau et certains, sous le châssis, sont plus difficilement accessibles. Ils ont été fixés avec un morceau de ruban adhésif vert, dont l’adhésif, sec, n’assure plus son rôle. Enfin, dans l’angle senestre haut, se trouve une déchirure complexe dont les bords se sont déformés.
Constat d’état : couche picturale
La couche colorée est en bon état. Plutôt fine, elle comporte des empâtements et amas dans les sombres. Comme le support, elle semble présenter un film de crasse important. Le vernis forme un léger voile jaune sur la surface. Des usures sur les bords indiquent la présence d’un ancien encadrement, qui a probablement été repeint sans être défait étant donné les gouttelettes de peinture dorée. Par endroit, quelques griffures sont visibles à l’œil nu. Les craquelures sont au début de leur formation. Nous pouvons ainsi constater qu’un objet été appuyé sur l’angle haut dextre en raison de l’apparition d’une craquelure dite « en escargot ».
Enfin, les accrocs et la déchirure ont aussi provoqué des lacunes de peinture. L’absence de soulèvement ou d’écaillage à leur pourtour signale une bonne adhésivité de l’encollage et de la préparation. Toutefois, la peinture est déformée par endroit.
Tests
Les différents tests ont révélé une épaisse couche de crasse. Celle-ci part facilement avec un tensio-actif et un rinçage à l’eau froide.
Pour juger si l’allègement de vernis était utile ou non, trois fenêtres ont été ouvertes. La différence entre avant et après allègement étant faible, nous n’avons pas jugé nécessaire de poursuivre dans cette voie. Les fenêtres ont donc été refermées. En outre, contrairement à l’encrassement, la légère patine du vernis ne nuit pas à la visibilité.
Nettoyage
L’eau seule a une action trop lente pour solubiliser la totalité de la crasse. L’utilisation d’un tensio-actif à 1% facilite le nettoyage et permet un travail plus homogène.
Allègement de vernis
L’oxydation de la résine n’ést pas un frein pour la visibilité. D’autre part, le vernis apporte une certaine chaleur à l’image qui disparaitrait s’il était ôté.
Protocole
L’objectif de cette restauration est de conserver la patine et reprendre les accrocs. Pour cela les opérations vont débuter avec la protection localisée par la face des zones lacunaires. Puis, un dépoussiérage du revers à l’aide de brosse, d’une gomme spécifique et d’aspiration sera effectué. Les résidus de colle seront enlevés par action mécanique. Ce travail préliminaire permet d’assainir le support avant de traiter les lacunes. Elles seront comblées avec des fils ou de la toile selon leur dimension puis stabilisées à l’aide de pièces de textile fin encollé réactivées au solvant. Il en sera de même pour la déchirure dont les bords seront préalablement remis dans le plan grâce à un apport d’humidité et de pression.
Ensuite, le traitement de la couche picturale débutera avec le décrassage. Des mastics seront posés, structurés et isolés avec un vernis. Enfin une retouche illusionniste permettra de retrouver toute la lisibilité. Les usures sur les côtés seront conservées mais atténuées à l’aide d’un glacis. Pour parfaire l’ensemble, reprendre les différences de brillance et protéger la surface, un vernis sera appliqué.
Les amas de matière étant inhérents à la création, aucun traitement pour les masquer n’est envisagé. Enfin, pour conserver l’aspect authentique de l’œuvre, certaines petites lacunes sans conséquences pour la pérennité du tableau et non visibles au premier abord ne seront pas traitées.
Restauration
La restauration s’est effectuée en accord avec le protocole énoncé ci-dessus. Pour faciliter la lecture elle est présentée sous forme de galerie. En cliquant sur les images les légendes concernant les traitements effectuées apparaitront.